Bulletin estudiantin Fête du Département de Français,
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Bulletin estudiantin UNIVERSITÉ Bulletin édité par Natalie LaFleur, textes rédigés par les étudiants du Département de Français . DU MANITOBA FÉVRIER 2011 VOLUME 1 Fête du Département de Français, Espagnol et Italien Le 2 décembre 2010 DANS CE RECUEIL: Récits d’enfance (Hommage à 2 Nathalie Sarraute) Profil des étudiants d’études 9 supérieures et de premier cycle Textes de la soirée 11 théâtrale Création littéraire 17 Photos approuvées par le Directeur du Département de Français, Espagnol et Italien, Professeur Enrique Fernandez. Récits d'enfance (Hommage à Nathalie Sarraute) facile avec un récit de fiction… Dialogue d’enfance De: Heidi Groenheide - Tout à fait. Il faut faire attention. Du côté « fiction » il s’agit plus d’un espace de « supposition ». L’enfance de Nathalie Sarraute incorporait beaucoup de sensations… - Alors, tu vas vraiment faire ça? « Écrire un pastiche - Et tu n’es pas sensible? d’Enfance »… Comme ces mots te font peur, tu n’es pas une « vraie » écrivaine. Mais c’est bien cela que tu - Bien sûr! Seulement, mes souvenirs sont basés sur tentes de faire, tu veux récrire « l’enfance ». les événements et les actions plutôt que sur les sentiments… - Oui, c’est vrai, il m’était toujours séduisant d’écrire et bien sûr que même Nathalie Sarraute, à un moment - Alors, dans la « fiction » il s’agit d’une approximadonné, n’était pas une « vraie » écrivaine… tion des sentiments qu’aurait éprouvés l’enfant pendant un tel événement. C’est bien cela? - C’est peut-être… est-ce que ce n’est pas possible… que tu tentes d’éviter d’écrire une autre dissertation critique… c’est peut-être que tu ne te sens pas en me- - Exactement sure d’écrire quelque chose de plus rigoureux… - Bon. Je me tais… tu m’y plonges… - Non, je ne crois pas… en fait, je trouve que d’habituDans cette maison… une salle en carré, quatre de les projets plus créatifs sont souvent les plus « rimurs qui m’entourent, tout est brun. Les murs sont goureux »… d’un brun pâle, les sièges, le sofa, les rideaux… c’est - Surtout si tu as des difficultés « d’évoquer tes souve- le salon où on jouait les petits jeux d’enfant. Même dehors tout est brunâtre. Un printemps froid et plein nirs »… quoi faire donc? de boue. Ce n’est pas notre maison, les plantes sont déjà vertes chez nous… on est plus au nord, à Chur- Arrête déjà… chill où mon père a travaillé pendant plusieurs mois. Quelqu’un hurle… c’est probablement mon frère qui - Il faut le demander… comment écrire un pastiche « se lançait vers un ami, il jouait comme ça souvent : se d’enfance » si tu ne réussis pas à « évoquer tes souve- lançait, hurlait, faisait du bruit et en désordre. nirs » comme l’a fait Nathalie Sarraute? - Tu ne jouais pas avec eux? - C’est une question juste. Je crois qu’il faut simplement écrire un mélange de vérité et de fiction. En tout - Non, même cette fois-là je préférais observer. cas, n’est-ce pas que l’enfance est moitié vérité et moitié fiction? Voir les choses des yeux d’enfant, c’est voir les choses d’une perspective incomplète, les - Tu le préférais? Ou peut-être te sentais-tu que tu n’étais pas bienvenue dans leur jeu? adultes ont l’habitude de cacher des choses aux enfants… - Non, j’étais toujours bienvenue… mais je dirais que - Oui, mais il faut faire attention de ne pas entrer dans même s’ils m’avaient incluse j’aurais été en dehors de leur jeu. le style « tout cuit », ce qui sera probablement plus PAGE 2 BULLETIN ESTUDIANTIN Une journée de printemps, fraîche, avec un ciel bleu… on dirait une journée fabriquée pour les enfants. Je brisais des plaques d’eau gelée avec une branche, puis me plongeais dedans avec les pieds encaissés dans des bottes de caoutchouc. Je prépare une table avec de petites assiettes et de petites tasses à thé… la petite voisine de mon âge et moi, on fait une petite fête entre filles pendant que Kevin saute dans l’eau. Ensuite Kevin et moi sommes sur les escaliers qui montent dans la maison, on a peur et la petite voisine pleure. Un chien nous avait attaqués, il a mordu la voisine et son père a chassé le chien et l’a battu. tres... la piqûre d'un sentiment de rébellion me remonte dans la poitrine. Si je veux rester seule, je resterai seule, c’est à moi de décider avec qui jouer ou ne pas jouer ou discuter ou ne pas discuter. - Tu n’as pas vraiment pris une telle décision à cet âge -là… - Pas d’une façon définie, mais bien sûr que le sentiment d’indépendance a commencé à ce moment, même dans l’enfance j’ai résisté aux gens qui critiquaient ma tendance vers la solitude. - Mais certainement ils ont voulu ton bien? - Ça s’est vraiment passé ainsi? Tu es certaine? - Je n’en doute pas, mais j’ai senti qu’ils voulaient que je change quelque chose d’intégral dans ma personna- Je ne suis sûre de rien, mais je me souviens du senti- lité, et alors, que je change moi-même… alors, j’ai ment de la peur. Je ne sais si j’avais plus peur du résisté. D’une manière subtile évidemment, les accuchien ou du père de la voisine. sations de la timidité étaient justes. Ils avaient peutêtre raison. - Voyons, tu sais bien que c’était le chien. - Peut-être? Plutôt certainement, n’est-ce pas? Sois - Sans doute. Mais je suis certaine que c’était la prehonnête… mière fois que j’ai vu comment les humains peuvent être violents envers les autres créatures - C’est vrai que la timidité m’avait empêchée de faire tout ce que je pourrais. - Tu deviens un peu dramatique là, même un peu «tout cuit »… il faut faire attention à ces choses… Je suis entourée d’air frais et humide, le ciel est gris. Papa me porte dans ses bras et c’est tellement -Trop vrai, j’ai passé trop de temps dans la littérature haut que je peux toucher aux nuages… le brouillard et la philosophie. Je tends vers l’incorporation des est épais et blanc… un homme parle, il raconte l’hismoralités, l’éthique et la philosophie dans toute l’étoire de la région et de ce site… une citadelle militaire où les gens étaient obligés de manger des lichens pour criture… survivre, l’homme prend un peu puis l’avale. Il m’en offre, mais je cache mon visage dans le manteau de - Peut-être qu’un autre sujet t’aidera… mon père… plus tard quand personne ne me regarde je goûterai un peu, ça n’a pas de goût… - Je le crois, oui… C'est calme, je reste la joue contre la surface plate et lisse d'un bureau pendant que Madame discute avec ma mère... elle a tendance à rester seule pendant la période de récréation, c’est une fille timide... le soleil brille et la poussière flotte dans les fenêtres. Il fait beau dehors, une journée douce avec la jeunesse du printemps. Les arbres aux nouvelles feuilles vertes dansent dans le vent... il faut se mêler un peu aux auBULLETIN ESTUDIANTIN Je grimpe les rochers qui font mal aux genoux et aux mains, l’air frais, le ciel bleu et clair, même le brouillard donne un sentiment d’extase, je sens que je pourrais grimper une montagne, la roche est une montagne… je tends vers une conquête… le vent pousse fort… quelqu’un crie un nom… c’est moi qu’il cherche?... non… mais, peut-être… je suis presque là, il ne reste que quelque pas… j’y suis arrivée! Je sens l’esPAGE 3 prit de la conquête, une réussite et un nouveau pou- Tout à fait. Mais il faut quand même essayer… voir… Kevin se plaint parce que je l’ai laissé au bas des roches, il est trop petit pour les grimper et mon - C’est vrai. Toute autre chose serait de la dernière père m’appelle… c’est le temps de partir… j’hésite lâcheté… pendant un moment parce que je ne veux pas partir encore… je veux attendre, mais l’air frais devient froid et l’humidité du brouillard commence à pénétrer Souvenirs jusqu’aux os… - Il ne faut pas oublier la cave… un bon endroit à explorer, surtout pour les enfants… - Justement. C’était noir et ça donnait des frissons de peur, je crois que c’était assez petit, mais aux enfants c’était énorme…une aventure d’exploration. La verdure pique les pieds nus et les branches rayent les bras pendant qu’on pousse avant dans la forêt… ça fait tellement chaud… je veux trouver la petite cabane que Kevin et ses amis ont construite, il m’avait taquinée qu’une fille ne la retrouverait jamais… il y a des voix, je m’approche…je marche aux pas de loup, lente, en silence et avec soin… je ne veux pas qu’ils m’entendent… je les regarde pendant quelques moments puis je lance une pierre pour signaler ma présence… - Pourquoi signaler? De: Carmen Penner -Il me déteste....Il me déteste depuis .....depuis toujours! C’est un fait. -Ce n’est pas un fait. Tes cousins t’avaient dit plusieurs fois que ton frère se fait du souci pour toi depuis toujours! Il t’aime immensément, même si ça ne semble pas le cas. Après tout, c’est un homme qui ressemble beaucoup à ton père. Ils ont des difficultés à exprimer l’amour. -Oui cela est vrai. Mais j’ai observé comment les autres frères et soeurs communiquent, ainsi que les relations de mes cousins. Ils semblent avoir des relations plus proches comme des amis, de bons amis. Ils sortent le soir....ensemble, pendant toute la nuit. Ils vont à la cabane les week-ends, ils font des voyages ensemble. - Kevin m’avait taquinée, il fallait prouver que j’avais -Je me souviens d’une sortie qu’on a fait ensemble il réussi à les retrouver. n’y a pas longtemps en plus. - Pourquoi était-ce nécessaire de le prouver? Ce n’était pas assez d’avoir une réussi? Il fallait que quelqu’un d’autre soit témoin? -Cinq mois plus tôt, on est allé à Rumors mais il m’avait invitée seulement parce qu’il ne pouvait pas trouver une compagne pour cette nuit-là. - Il ne m’aurait jamais crue seulement sur ma parole… -Et l’été dernier, je me souviens des week-ends à la cabane. - Alors, ce n’est pas parce que tu cherchais un peu de valorisation? Ce n’est pas assez d’achever quelque -Oui on est allé à la cabane les week-ends mais ce n’échose pour soi-même? tait pas « ensemble. » On a même pris des - Tu as raison… j’ai toujours cherché à ce que l’autre valorise ce que je fais… ça fait longtemps que j’en suis consciente. C’est quelque chose de difficile, d’être témoin de soi-même. PAGE 4 autos différentes. -Est-ce que tu te souviens de ce qui est arrivé à ton frère quand il avait dix ans?....Tu es devenue son héroïne depuis ce jour-là. BULLETIN ESTUDIANTIN -Ah oui!! C’était un hiver froid comme d’habitude à Winnipeg. Mon frère et moi faisions l’aller et le retour à l’école par autobus. L’arrêt d’autobus était tout près de notre rue, où il y avait au moins sept enfants, comme mon frère et moi, qui faisaient des allés et venues. Comme d’autres enfants, nous avions inventé un jeu très stupide; après que nous étions sortis de l’autobus, nous saisissions le côté de l’autobus et nous glissions le long de la rue aussi loin que possible. Un jour la conductrice de l’autobus a vu ce que nous faisions, alors elle a arrêté l’autobus, elle nous a dit d’arrêter ce jeu, que c’était dangereux. Mais mon frère avait une autre idée en tête....de continuer le jeu. Pendant que je marchais le long de la rue mon frère a couru afin de retrouver sa place à côté de l’autobus et puis en une fraction de seconde, il est tombé audessous de l’autobus où ses jambes ont été écrasées par les deux grands pneus. -Quelles étaient tes sentiments? -J’ai connu mon premier état de choc. J’avais besoin d’aide…vite! Je suis descendue à la prochaine rue jusqu’à ce que je rattrape mon ami David qui était presque arrivé à sa maison où son père avait commencé à préparer le souper. Je lui ai expliqué ce qui était arrivé, nous sommes retournés où Cole pleurait tranquillement. Le père de David a pris Cole dans ses bras afin de l’emmener à notre maison. Depuis ce jour-là, j’ai juré que je prendrais soin de mon petit frère du mieux que je puisse. -Tu es son héroïne! -N’importe qui aurait fait la même chose. Je crois que si j’avais arrêté mon frère avant l’accident j’aurais été l’héroïne. -Ne sois pas si exigeante envers toi-même! On ne peut pas prédire ce qui va se passer. On peut seulement agir le mieux qu’on puisse dans ce genre de situations. Pense à ce qui aurait pu arriver si tu n’avais pas été là du tout! Les mains de ma mère De: Jessica Kaisairis « Êtes-vous prêts? », mon père nous demande-t-il lorsque nous quittons la maison pour commencer nos vacances à Kelowna. « C’est notre première aventure en famille! ». À ce moment, j’étais très excitée. Notre premier grand voyage ensemble. Je suis tellement heureuse. Nous sommes tous rentrés dans notre vieille fourgonnette. Mon père donne un bisou à ma mère pendant que mon frère et moi jouons gaiement ensemble sur le siège arrière. Le nouveau jeu de Pokémon pour le Gameboy va nous distraire beaucoup. Je suis tellement heureuse. J’entends ma mère rire. Je crois que mon père lui a dit quelque chose de drôle. Je vois mes parents sourire, et je me sens très chanceuse d’être avec ma famille aujourd’hui. Je ferme les yeux et je me dis: «souviens-toi, souviens-toi, souviens-toi. » J’ouvre les yeux et j’aperçois par la fenêtre une barrière entre l'herbe et le ciel. Je suis tellement heureuse. -Tu penses que depuis ce jour-là, j’étais son héroïne? Je marche à côté de ma mère à travers la foule dans le centre d’achat du quartier. Elle bouge rapidement, plus vite que moi, car j’ai seulement cinq ans. -Bien sûr! J’essaie de lui saisir la main. Je suis si petite, je ne peux pas voir la personne devant moi, seulement ses -Pourquoi? pieds. J’essaie de suivre les pieds de ma mère, mais -Parce que même s’il avait fait quelque chose de bête, tout à coup, je me rends compte que cet étranger devant moi n’est pas ma mère. Ma mère a disparu. c’était toi qui l’a sauvé de ses propres fautes. BULLETIN ESTUDIANTIN PAGE 5 - Est-ce que tu penses qu’elle a voulu te perdre? - Je ne sais pas. « Es-tu perdue, petite fille? », une femme me demande au bout de dix minutes. J’examine la situation. Je suis seule, dans le centre d’achat, sans ma mère. Je crois que je suis vraiment perdue. Pourquoi estce que je me perds tout le temps? Je jette un coup d’œil à la femme qui me parle. Elle me donne un regard de pitié. Je la déteste. « Oui, je suis perdue », je l’ai enfin avoué. Il n’est pas impossible de perdre ma mère dans une foule. Il semble que cette émission se répète chaque fois que nous allons à l’épicerie, à la librairie, ou au centre d’achat. Au début, je restais là, en pleurant jusqu'à ce qu’elle me trouve. Ce jour-là, j’étais fâchée. Quand la femme est revenue, elle était accompagnée de ma mère. - Tu es là! J'ai cherché partout! Silence. - Ma petite, est-ce que c’est ta mère ? Silence. - Jessica! Dis à cette dame que je suis ta mère! Silence. - Jessica! Enfin, j’ai pris la main de ma mère et nous avons quitté le centre d’achat ensemble. Je n'ai pas voulu être difficile. J'étais vraiment obéissante lorsque j’étais petite. Je voulais que les adultes pensent que j’étais une bonne gamine. Je crois que ce jour-là, j'ai voulu lui apprendre une leçon. J’étais furieuse d’être toujours perdue. J'ai voulu avoir le pouvoir sur ma mère. Alors, j’ai fait cela, mais à la fin, j’avais encore besoin de mon lit pour dormir. Donc je suis retournée à la maison avec ma mère, en écoutant ses cris. Je n’aime rien d’elle. Pourtant, je veux qu’elle m’aime. C’est une chose bizarre. Madame Brezina. Pourquoi est-ce qu’elle me déteste? J’essayais souvent d’être gentille et patiente, mais ce n’est jamais assez pour elle. Dans notre classe de vingt élèves âgés de huit ans à neuf ans, il y a seulement trois enfants qu’elle aime. Je crois qu'elle les aime parce qu'ils sont silencieux. Mais je crois que je suis silencieuse aussi. J’ai demandé à mes parents pourquoi la madame ne PAGE 6 m'aime pas. Ils m'ont dit: « Bien sûr qu'elle t’aime. Pourquoi elle ne t’aimerait pas?». C’est ce que je me demande, ai-je pensé. Le lendemain elle a crié après moi parce que mon écriture était inclinée du mauvais côté. Je lui ai dit qu'elle était ainsi parce que je suis gauchère. Je crois qu'elle a fait semblant de ne pas m'entendre. Puis, la semaine suivante, ma mère lui a envoyé une note, en disant que je recevrais des lunettes bientôt. Elle a crié après moi parce que je ne lui avais pas dit que j’avais des difficultés à voir. Je pensais que j’étais un enfant sage et tranquille. « Prenez vos affaires! » La famille entière courait en rond. Les mardis soirs, mon frère et moi jouions au soccer. J’ai saisi mon sac de soccer rapidement et je suis partie à la course rencontrer mes parents. Ils décidaient quel enfant irait avec quel parent. Ils nous ont dit que nous allions prendre deux voitures différentes. Après cette exclamation, mon frère et moi nous sommes disputés. - Je veux aller avec papa! - Non, je veux y aller! Ce n’est pas que nous n’aimons pas notre mère, mais mon père part souvent en voyage pour son travail. Il part parfois pour quelques semaines, donc lorsqu’il revient, nous luttons pour son temps libre. Mon père nous a interrompus, le visage très sombre. J’ai vu ma mère dans la cuisine, triste. Au début, je ne comprenais pas pourquoi ma mère se sentait ainsi. Par contre, je me suis rendu compte plus tard qu’elle était malheureuse. Je ne m’étais pas rendu compte que notre dispute pouvait blesser un autre ainsi. Elle pensait probablement que ses enfants ne voulaient pas être avec elle, ce qui n’était pas vrai. Plus j’y pense, plus je me sens triste pour elle. C’est un sentiment étrange. - Est-ce que tu penses que ce souvenir est la première fois que tu aies senti de la compassion pour un autre? - Oui. Je me suis rendu compte plus tard dans la vie que ce souvenir est vraiment important pour moi parce qu’il montre ma compréhension lente de ma mère. - Donc, qu’est-ce que tu as appris de ta mère ici? BULLETIN ESTUDIANTIN -Je pense que j’ai appris qu’elle est un être humain. « Vite, vite! » mon père nous dit lorsque nous quittons la maison. Mon père et mon frère prennent leur place dans la voiture. Je prends la main de ma mère, comme auparavant. Mais cette fois-ci, elle me serre la main. Mon enfance ble. Je serais toujours indisciplinée aux yeux de mes parents et elle serait leur ange magnifique et parfaite. Elle, et ses réponses promptes et ses yeux innocents. Les murs blancs m’entourent et un homme parle à maman et papa. Dans le livre que je tiens dans mes mains, il y a des dessins fabuleux et intrigants. Dans cette chambre claire et simple, je les entends parler. Ils parlent et parlent de rien. Ils utilisent des signes et des lettres plus que des mots. Mais, les mots qu’ils utilisent sont trop longs. - Ils parlent de quoi? De: Elizabeth LaRue - Aucune idée… ils parlent trop vite. Ils utilisent des mots que je n’ai jamais entendus. Ils m’ont incluse « Beth! Get down here!… » « Beth! Viens ici!… » dans une visite comme telle pour me laisser de côté. J’ai entendu ceci pendant des années. Les cris de mon Les images des animaux dans ce livre sont merveilleupère…les cris de ma mère. Même aujourd’hui, j’ai des ses. J’aime les animaux. Ils sont tellement beaux, telfrissons quand ces mots entrent par les oreilles. Des lement libres. Exempts des règles de la vie civile… mots lourds. Un cri fâché. exempts des rencontres avec les hommes aux cheveux gris. - Tu veux vraiment descendre dans la cave? - Peux-tu aller dans le corridor? - Oui. -Tu dois rester près de la porte. - D’accord maman. - Et ne quitte pas - Non...mais je dois le faire. Aucun choix aujourdle corridor, reste juste là. - D’accord maman.—…et ne ’hui. Aucun choix ni hier ni demain. parle pas aux étrangers. - Oui maman, je le sais. - Et… - Oui. Maman! Laisse-moi tranquille, je la rassure. Je « Beth! Get down here!… » « Beth! Viens ici!… » vais être ici. Les cris de mon père me hantent. Qu’est-ce qu’il veut? Pourquoi est ce qu’il veut me voir maintenant? - Tu devais rester seule dans le corridor pour longJ’ai d’autres choses à faire. Je joue toute seule dans temps? ma chambre… mais, je sais qu’il pense que j’ai fait quelque chose de mal. -Beth l’a fait. C’était elle qui l’a brisé! … Ma petite peste, ma petite sœur, Sarah, - Non, l’attente n’était pas longue. J’ai lu le livre un était là dans la cave. Ce n’était pas elle? peu plus. Les autres hommes et femmes dans le couloir étaient habillés des mêmes vêtements que l’hom- Tu pense vraiment que c’était elle? Ton père ne pen- me aux cheveux gris qui était dans la chambre. Ils m’ont dit bonjour et m’ont donné un sourire. Ils sont se pas que ce soit elle qui l’a brisé. C’est ta parole gentils. contre la parole d’une petite gamine naïve et jeune. Elle n’aurait pas pu le faire, car elle est parfaite. - Il n’y avait pas de raison que tu sois là? On t’y avait vraiment amenée pour que tu lises un livre? - Jeune, oui. Naïve, non. Je sais que je n’ai rien touché. Je ne suis même pas descendue à la cave ce jourlà. Mais, je dois l’accepter…c’est mon fardeau d’être « Beth, viens dans la salle. » C’est mon père. Il me la plus âgée. Je cause tous les problèmes. C’est moi veut maintenant. - On peut retourner à la maison qui l’ai brisé… même si je ne l’ai jamais touché. Peut- maintenant? - Non, mais dans quelques minutes. Je être aurais-je dû être plus rebelle… au moins j’aurais vois l’enregistreur de cassette de ma mère. C’était été punie pour une chose dont j’étais vraiment coupa- dans les mains de l’homme avec le manteau blanc. BULLETIN ESTUDIANTIN PAGE 7 - Alors, il était médecin? Tu étais à l’hôpital? - Ô… oui. Ils ne me l’ont pas dit. S’ils m’avaient dit qu’on allait chez le docteur je n’aurais pas quitté la maison ce matin-là. C’était le même enregistreur que j’avais vu il y avait quelques jours quand j’étais en train de jouer à la maison. Elle m’a enregistrée?… et elle l’a donné à un étranger. Un homme a entendu l’enregistrement de ma voix. Je suis atterrée. Ils m’ont trahie. - Tu ne savais pas? Aucun soupçon? - Absolument pas! S’ils m’avaient demandé, j’aurais peut-être été d’accord avec cela. Mais… non… ce n’est pas acceptable. Comment est-ce que je pourrais les comprendre? À ce moment-là, j’étais sûre que je n’aurais jamais plus de confiance en eux. Je me sens seule. Personne n’est là pour moi…à mes côtés. Les murs blancs se rapprochent de plus en plus. Il n’y a rien que je pourrais leur dire pour leur faire comprendre à quel point je suis fâchée. Ils me regardent comme une folle. Ils ne comprendraient jamais ce que c’est d’être trahi comme cela. « Your house has been sold. » « Quelqu’un a acheté ta maison. » Une phrase terrible. Tous mes souvenirs étaient dans ma maison. C’était là que mes parents sont retournés après leur mariage. C’était dans cette maison-là que j’ai grandi. Une autre maison n’était pas une option. Pourquoi est-ce qu’on avait besoin d’une autre maison? Celle-ci est bonne. Il y a une piscine, elle est assez grande pour Sarah, eux et moi. Mais, ils n’avaient aucun problème à la laisser de côté….comme un sac poubelle, abandonné. chambre ensemble. - C’est vrai, mais c’était nouveau. À cette époque de ma vie, rien de nouveau n’avait été si grand. Chaque jour, on jouait, on riait, on mangeait et on dormait. Et maintenant tout serait différent! - Ce n’est pas vrai. Même avec une autre maison et une autre chambre à coucher, ta petite peste et toi pourriez jouer, rire, manger et dormir. C’est après cela que tu as vu que la vie allait encore continuer, mais que toi tu avais changé. Les souvenirs d’enfance sont vagues et indéfinis. Je n’ai plus envie d’écrire mes souvenirs. À quoi bon? je n’ai pas besoin de ça. Je ne veux pas écrire. Nathalie Sarraute - Tu n’aimes pas l’autre maison? C’était la maison de tes grands-parents. Tu les aimes. Je sais que tu as eu beaucoup de plaisir dans cette nouvelle maison. « Your house has been sold. » « Quelqu’un a acheté ta maison. » Ils ne m’ont pas dit que c’était même une option de déménager. Cette maison magnifique est à moi aussi. Ils ne comprennent pas. Maintenant on doit l’abandonner. Image de : http://www.matisse.lettres.free.fr/ rubriquecursives/enfance/enfance.htm - Tu sais que la nouvelle maison était assez belle. Des jardins partout et des arbres fruitiers. Plus d’espace pour jouer. Ta petite sœur et toi aviez encore une PAGE 8 BULLETIN ESTUDIANTIN Profil des étudiants ÉTUDIANTS D’ÉTUDES SUPÉRIEURES « Robert de Roquebrune ou l’implosion des discours » dans Francofonia, Universidad de Cadiz, no 18, 2009, p. 118-131. Compte-rendus : LAURENT POLIQUIN est inscrit au programme de doctorat. En mai 2009, il a été reçu membre du centre de recherche Young People’s Text and Culture de l’Université de Winnipeg (CRYTC). Il travaille également à titre de rédacteur à la revue scientifique internationale Jeunesse: Young People, Texts, Cultures. Il assume un rôle de premier lecteur d’articles scientifiques ; il soumet ceux-ci à une évaluation internationale et il fait part des commentaires et de la décision éditoriale aux chercheurs internationaux ; il assume ensuite la coordination éditoriale de leur texte. Quatre numéros ont été publiés depuis son arrivée au comité de rédaction. « Une lecture qui « mène du train » », Liaison, no 149 Automne 2010, p. 60. « Envies de fuite », compte-rendu de Blanchie de Brigitte Haentjens dans Canadian Literature, no 202, automne 2009, p.113. Essai : « Carnet des accointances » dans Sillons : hommage à Gabrielle Roy, sous la direction de Lise GabouryDiallo, Saint-Boniface, Éditions du Blé, 2009, p.203206. Il a présenté deux communications à l’automne 2009 : Livre : « Valorisation de la culture métisse dans la littérature de jeunesse de l’Ouest canadien : le cas de David Bouchard », colloque Littérature de jeunesse et engagement(s), Strasbourg, Université de Strasbourg, 12 au 14 novembre 2009. « De l'abécédaire à l'identitaire : poésie et jeune enfance dans l'Ouest canadien », Colloque international Langages poétiques et poésie francophone en Amérique du Nord, Toronto, University York, 1 au 3 octobre 2009. Orpailleur de bisous, poésie, Éditions de L’Interligne, 2010, 80 p. À paraître prochainement : « Les mouvements propulseurs du rire : le cas Mélanie Watt », Jeunesse: Young People, Texts, Cultures, Vol 2, No 2 Winter 2010. « Ceviz » poèmes, Mœbius, no 127, Octobre 2010. Ses publications les plus récentes : Articles devant un comité de lecture : « Amibiguïté idéologique chez Robert de Roquebrune : le cas D’un océan à l’autre », dans Transplanter le Canada : Semailles / Transplanting Canada: Seedlings, sous la direction de Marie Carrière et Jerry White, Edmonton, Centre de littérature canadienne, 2009, p.74-78. BULLETIN ESTUDIANTIN LECH KOSINSKI inscrit au programme de doctorat travaille sur l'allégorie politique dans le film « Les Enfants du paradis » de Marcel Carné, un des grands classiques du cinéma français. Carné a été décoré Commandeur de la Légion d’Honneur par le Président de la République François Mitterrand le 22 octobre 1985. C'est un honneur et un plaisir pour lui d'aborder un sujet d'une telle portée pour la France, et, donc, pour toute l'Europe, ainsi que de travailler sous la diPAGE 9 rection experte de Dr. Étienne Beaulieu, son directeur et artistiques de l'altérité et de la mémoire», tenu au Collège universitaire de Saint-Boniface du 29 avril au de thèse. 1er mai. C'est la deuxième fois qu'elle participe à ce genre de colloque. Suite à l'obtention de sa maîtrise, EMMA POPOWICH vient de terminer sa maîtrise. Mélanie compte poursuivre son doctorat. Son mémoire est intitulé «L’orage féminin dans la poésie de la Renaissance européenne». Cette étude souligne la tradition des images de naufrages et orages MICHELLE KELLER est étudiante de deuxième liées à la femme dans la poésie de Pétrarque, Ronsard cycle de français au département depuis septembre et Ausias March. Sa soutenance a eu lieu au mois 2009. Au cours de la dernière année scolaire (2009d'août, mais Emma poursuivra son étude du thème de 2010), elle a complété tous les cours requis pour le l'orage féminin chez d'autres auteurs de l'époque huprogramme y compris celui qu’elle a suivi au Québec cet été. Il s’agissait d’un cours dans le cadre d’une maniste tels que Garcilaso et Boscan. École internationale d’été qui portait sur la francophonie des Amériques. Ce cours pluridisciplinaire s’est NATALIE LAFLEUR entame sa dernière année de déroulé à deux universités – l’Université Laval et l’Umaîtrise en français. Elle termine la rédaction de son niversité du Québec en Outaouais – et a accueilli des mémoire intitulé « L’esthétique théâtrale dans les œu- spécialistes de la francophonie tels Joseph-Yvon Thériault (Québec), Susan Pinette (Maine), Barry Ancelet vres romanesques de Diderot ». Dans celui-ci, elle examine la problématique des genres, surtout le théâ- (Louisiane) et Haydée Silva Ochoa (Mexique). Ce tre dans le roman dans les trois œuvres romanesques cours a beaucoup alimenté les recherches pour son mémoire qui porte sur les discours journalistiques sur les plus importantes de Diderot; Jacques le fataliste, la francophonie manitobaine. La Religieuse et Le Neveu de Rameau. Plus tôt cette année, elle a travaillé pendant quelques mois comme assistante de recherche pour Prof. Dominique Laporte. Depuis septembre 2010, elle est conseillère pour le département de français, espagnol et italien au sein du Graduate Students’ Association. C’est la première fois que le département ait un représentant au sein de cette association. Par ailleurs, elle a été sélectionnée par la Fédération de la jeunesse canadienne-française pour participer au 4e Forum jeunesse pancanadien qui a eu lieu à Vancouver en novembre 2010. Elle reçoit actuellement de l’aide financière de MÉLANIE CURÉ termine sa dernière année de maî- la province du Manitoba par le biais du Manitoba Graduate Scholarship et compte soutenir son mémoire en trise en français. Elle rédige un mémoire de maîtrise intitulé « Pas juste une question de langue : l'identité 2011. nationale et l'exiguïté littéraire dans les récits francomanitobains et acadiens », qui porte sur le sort et les LÉA KON vient de terminer son mémoire de maîtrise caractéristiques des littératures minoritaires, en prenant en compte les dimensions historiques et identitai- intitulé «Le héros romantique dans Le Rouge et le Noir de Stendhal, Illusions perdues de Balzac, L’Édures de la francophonie canadienne. cation sentimentale de Gustave Flaubert et Les TraCette année, elle a présenté une communication nom- vailleurs de la mer de Victor Hugo». Elle compte mée «Identité et altérité : le passé et le nouveau chez poursuivre ses études doctorales à l’Université du MaJ.R. Léveillé et Antonine Maillet » au colloque inter- nitoba. Elle vient de présenter une communication nommée «Des outils théâtraux transposés du Fils Naturel à La Religieuse » au congrès de la Société Canadienne d’Études du Dix-Huitième siècle. Cette année, le congrès a eu lieu à Saint-Jean, Terre-Neuve du 14-16 octobre. C’est la deuxième année de suite qu’elle participe à ce congrès dix-huitièmiste. Elle compte tenir la soutenance de son mémoire l’année prochaine et par la suite, poursuivre son doctorat. national « Les discours littéraires, cinématographiques PAGE 10 BULLETIN ESTUDIANTIN AMALIA ZURZOLO (JÍMENEZ) achève sa maîtrise. Sa soutenance aura lieu en juin. Son mémoire porte sur la pensée politique chez Rousseau, Montaigne et Rabelais. ÉTUDIANTES DE PREMIER CYCLE MARY HANNA a suivi cette année un cours d’orientation scolaire à l’élémentaire au Collège universitaire de Saint-Boniface en français. Elle pense suivre le programme financé par le gouvernement qui lui permettrait d’être assistante au Québec. DIANE CHOJCZAK suit le programme de CIEP en France depuis le mois de septembre. Elle est assistante d’anglais et elle a aussi suivi le programme d’Explore au Québec le printemps dernier. CARMEN PENNER travaille en France comme assistante d’anglais. Elle compte poursuivre ses études au niveau de la maîtrise. ELIZABETH LARUE a été sélectionné comme jeune ambassadrice au Forum de la Francophonie des Amériques qui s’est tenu au Nouveau Brunswick du 7 au 17 août 2010. Soirée théâtrale (26 mars 2010) Rhinocéros (adaptation impertinente de la pièce d’Eugène Ionesco) Bérenger Oh! Ce n’est rien, Jean! J’ai un peu mal aux cheveux, c’est tout… Jean Tu as trop bu encore hier soir! Intro La scène initiale telle que Delaram l’a expliBérenger quée… Jean est seul sur la scène noire, avec une seule J’ai un petit peu la gueule de bois, oui… lumière qui l’illumine. Scène I Un restaurant de Winnipeg vers midi. Quelques petites tables. Jean et Bérenger arrivent en même temps et s’assoient à une table. Jean est très soigneusement vêtu : complet, cravate, souliers polis (comme un homme d’affaires). Bérenger n’est pas rasé, il est mal peigné, les vêtements chiffonnés; tout exprime chez lui la négligence, il a l’air fatigué; de temps en temps, il baîlle. Jean Tu es mal habillé, pas même rasé et tu pues! J’ai honte d’être ton ami! Jean Tu n’as vraiment pas bonne mine, Bérenger. Jean Mon cher, tout le monde travaille et moi aussi! Moi aussi comme tout le monde, je fais tous les jours mes huit heures de bureau, et je ne me plains pas. BULLETIN ESTUDIANTIN Bérenger Écoute, Jean. Je m’ennuie à Winnipeg. Je ne suis pas fait pour le travail que j’ai… tous les jours, au bureau, pendant huit heures, trois semaines seulement de vacances en été! PAGE 11 Bérenger Moi, je ne peux pas m’habituer. Non, je ne m’habitue pas à la vie. Jean Tout le monde doit travailler. Tu dois gagner ta vie comme tout le monde. À ce moment, on entend le bruit très éloigné, mais se rapprochant très vite, d’un souffle de fauve et de sa course précipitée, ainsi qu’un long barissement. La serveuse, entrant dans la pièce. Bonjour, Messieurs, que désirez-vous boire? Les bruits sont devenus très forts. La serveuse Oh! Un rhinocéros! Le Professeur et une Dame élégante (venant vite en scène.) On a vu un rhinocéros sur la rue Portage! Le Chef Mais voyons donc! (Voyant le rhinocéros.) Oh! Ça alors! La serveuse Ça alors! Jean Ça alors! (À Bérenger.) Bérenger! As-tu vu le rhinocéros? Bérenger Il me semble, oui, c’était un rhinocéros! Jean, criant presque pour se faire entendre au-dessus des buits. La Dame (au Professeur) Deux Fort Garry Pale Ale! (Les bruits sont devenus Oh! Ce que j’ai eu peur! énormes.) Mais que se passe-t-il? (Les bruits du galop d’un animal puissant et lourd sont tout proches, très Le Professeur (d’un air paternaliste) accélérés; on entend son halètement.) Mais qu’est-ce La peur est irrationnelle. La raison doit vaincre. que c’est? La serveuse Mais qu’est-ce que c’est? Le Chef, venant sur la scène. Mais qu’est-ce que c’est? Bérenger n’a pas l’air inquiet. Jean se lève d’un bond, fait tomber sa chaise en se levant, regarde du côté de la coulisse gauche, en montrant du doigt, tandis que Bérenger reste assis. Jean Oh! Un rhinocéros! (Les bruits produits par l’animal s’éloignent; toute cette scène doit être jouée très vite.) Jean Oh! Un rhinocéros! PAGE 12 Le Chef (À la serveuse.) Occupe-toi de ces messieurs! Il rentre dans la cuisine et la serveuse le suit. Pendant la conversation qui suit, la Serveuse vient poser des bières sur la table de Jean et de Bérenger. Elle regarde par la porte pour voir si le rhinocéros est encore là. Elle lave la table de la Dame et du Professeur. Elle le regarde comme s’il était fou. Jean Un rhinocéros! Je n’en reviens pas! Bérenger bâille. Le Professeur Je suis professeur de logique. Je vais vous expliquer cette affaire de rhinocéros, chère Madame. Un chat a quatre pattes, n’est-ce pas? (Le professeur fait BULLETIN ESTUDIANTIN « marcher » un chat imaginaire en remuant quatre doigts.) Jean C’est parce que tu bois trop. C’est la mélancolie du buveur de bière de Winnipeg… La Dame Oui… Le Professeur Et un chien a quatre pattes, n’est-ce pas? (Il fait « marcher » un chien imaginaire en remuant quatre doigts.) La Dame Bérenger Je ne me suis pas habitué à moi-même. Je ne sais pas si je suis moi. Dès que je bois un peu, je me sens plus léger, ça va mieux. Jean Avec des Fort Garry Pale Ale? Tu pourrais au moins boire des Heineken! Oui… La Professeur Alors, chère Madame, un chien est un chat! C’est de la logique élémentaire! La Dame Un rhinocéros a quatre pattes aussi. C’est donc un chat? (La dame fait « marcher » un rhinocéros.) Le Professeur Bravo, Madame! Vous comprenez des concepts très difficiles, surtout si on n’a pas d’éducation ni de culture! (Il jette un regard méprisant sur Bérenger. Pendant la conversation qui suit, le Professeur essaie d’impressionner la Dame.) Jean Mais un rhinocéros, dans la ville, comment expliquer ça? Nous devrions protester auprès du maire Sam Katz! Bérenger Peut-être qu’il s’est échappé du zoo du parc Assiniboine! Bérenger J’ai à peine la force de vivre. Je n’en ai plus envie. La solitude me pèse. La société aussi. C’est une chose anormale de vivre. Je me demande moi-même si j’existe! Jean Tu n’existes pas, mon cher, puisque tu ne penses pas. Penses, et tu seras. Le Professeur (se levant et s’adressant à Bérenger) Mais oui, mais oui! Vous ne connaissez pas le philosophe René Descartes? Non?? Cogito ergo sum! Je pense, donc je suis! Moi, je suis éduqué et je pense! Voici un syllogisme philosophique très sophistiqué (il tousse) : Tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat! La Dame Et si Socarte est un chat, cela veut dire qu’il est aussi un rhinocéros? Ah! Que la philosophie est belle! Le Professeur a l’air très satisfait de luimême. Bérenger Moi, je ne suis pas allé à l’Université du Manitoba. Je n’ai aucune chance de comprendre. Jean Le maire Katz? Oh! Tu veux dire le rhinocéros! Tu rêves si tu penses que le zoo du parc Assinboine a des Jean rhinocéros! La vie est une lutte. Il faut lutter! Il faut essayer. MonBérenger sieur le Professeur, que dites-vous de ce phénomène Oui, je rêve… La vie est un rêve. Je suis fatigué. du rhinocéros? BULLETIN ESTUDIANTIN PAGE 13 Le Professeur Jean Eh bien, eh bien!! Le rhinocéros! (Il ne semble pas Bérenger, comment oses-tu critiquer le plus grand lotrès sûr de ce qu’il va dire.) D’abord, peut-on être sûr gicien de l’Université du Manitoba! Tu devrais avoir de l’avoir vu? honte! J’ai honte d’être ton ami. Au fait, je m’en vais! La Dame Mais, je l’ai vu, moi! Le Professeur Nous aussi! Je ne tolère pas une telle impertinence! Le Professeur (lui faisant un geste condescendant) (Le Professeur, la Dame et Jean quittent la salle en emportant deux chaises et une table.) Ma chère Madame! Seule la phénoménologie peut nous dire ce qu’on a vu! D’abord, est-ce un rhinocéros d’Asie ou d’Afrique? A-t-il une corne ou deux? Bérenger Oh! Qu’est-ce que j’ai fait! Je n’aurais pas dû les insulter! Bérenger Mais quelle importance… Bérenger quitte la salle. Le Professeur (l’interrompant) Jean arrive sur la scène, mais il n’est pas dans Il faut D’ABORD déterminer l’origine de cette bête son assiette. Il commence à enlever sa cravate, avant d’en constater l’existence! L’essence précède comme s’il avait très chaud, puis son veston, l’existence! qu’il jette par terre. Il s’assoit lourdement sur la chaise et se cache le visage dans les mains. Bérenger Bérenger frappe à la porte. Jean ne répond Mais, Monsieur le Professeur! Jean-Paul Sartre a dit le pas. Bérenger entre timidement dans la pièce. contraire : L’existence précède l’essence! Le Professeur Mais non, mais non! Jean-Paul Sartre n’est plus du tout à la mode! Il faut suivre la mode! Bérenger Mais Sartre a dit qu’il faut créer ses propres valeurs! Et Simone de Beauvoir a dit : Le conformisme, c’est le contraire même de la créativité! Le Professeur (d’un ton arrogant, avec un petit sourire) Mais, mon cher enfant, est-ce que Jacques Derrida ne nous dirait pas, justement, que les rhinocéros s’inscrivent dans la logique du conformisme, déjà, toujours? Et d’ailleurs comme nous le dirait Jean Baudrillard, le conformisme n’est-il pas un jeu de simulacres, et la créativité aussi? Bérenger Je voulais te demander pardon. Tu as raison. Il ne faut jamais, jamais contredire un professeur. (Il remarque que Jean ne va pas très bien.) Mon Dieu, Jean, ça ne va pas? Jean Va t’en! Je ne veux pas te parler! Tu me dégoûtes! (Il disparaît dans la salle de bains.) Bérenger Es-tu malade? As-tu un rhume? Ta voix est enrouée! (Il attend quelques secondes.) Je… veux te dire que j’ai été stupide de me disputer avec toi pour une histoire de rhinocéros. Je voulais te dire que les gens ont vu des rhinocéros à une corne aussi bien que des rhinocéros à deux cornes. Bérenger (devenant plus confiant dans ses arguments) Jean (ressortant de la salle de bains, le visage tout vert) Vous voulez dire que se conformer, c’est être créateur, comme être un chat, c’est être un chien? Mais, Mon- C’est bien ce que je te disais! sieur le Professeur… (montrant qu’il n’est pas du tout convaincu) PAGE 14 BULLETIN ESTUDIANTIN Bérenger Mais, Jean, qu’est-ce que tu as! Tu es tout vert! Je vais téléphoner à l’hôpital! Jean (retournant à la salle de bains) Mais non! Je n’aime pas les médecins. Je n’ai confiance qu’en les vétérinaires! Bérenger Ne te fâche pas contre moi. Je suis ton ami! Jean (sortant de la salle de bains, transformé en rhinocéros) Je ne suis pas ton ami! Je déteste les hommes! plus aucun pouvoir sur Bérenger. De ses quatre doigts, il fait « marcher » la bouteille, comme si elle était devenue une bête. Les rhinocéros reculent au fond de la scène et deviennent tout petits, s’effondrant par terre. Bérenger prend la bouteille et la jette. Il a l’air fort, fier, confiant, debout, tout seul, au milieu de la scène. FIN Un masque de l’adaptation de Rhinocéros Jean essaie de percer Bérenger de sa corne. Bérenger fait semblant de sortir, mais quand Jean le poursuit, il referme la porte derrière lui. Il fait quelques pas à reculons, puis s’approche de la fenêtre. Bérenger Oh non! Ils sont partout! Il y a des rhinocéros partout! (On commence à forcer la porte. Jean essaie de la bloquer, mais enfin, la porte s’ouvre et tous les acteurs entrent sur la scène, transformés en rhinocéros. Ils se placent en demi-cercle derrière Bérenger en piétinant sur place, comme des soldats en marche. Bérenger les regarde avec horreur et il dit :) On ne m’aura pas, moi! Je ne vous suivrai pas! Je reste ce que je suis. Je suis un être humain. Un être humain! Puis Bérenger se retourne et se place au centre de la scène. Les rhinocéros s’avancent très lentement vers lui pendant qu’il réféchit. Il essaie de boire une gorgée de bière mais elle est vide. Masque fourni par Professeure Louise Renée et photo prise par Natalie LaFleur. Photo de Rhinocéros à la soirée théâtrale Bérenger Ah! C’est tout vide! C’est vide! Bérenger renverse la bouteille. Les rhinocéros sont maintenant très près de lui, comme s’ils allaient l’envahir complètement. Bérenger fixe la bouteille et la tient horizontalement devant lui. Les rhinocéros restent figés sur place, comme s’ils comprenaient qu’ils n’avaient BULLETIN ESTUDIANTIN Photo fournie par Professeure Louise Renée. PAGE 15 Le Soccer des Philosophes (inspiré de Monty Python) Les Grecs sont fous de joie! Sophocle a fait une belle passe à Socrate, mais les Français sont en train de disputer le but. Descartes dit que les Grecs ne peuvent pas être sûrs d’avoir fait un but, et Pascal dit : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point! » Rousseau dit que le ballon était hors jeu et que c’est un jeu stupide quand même. Bonjour! Et bienvenue au stade olympique de l’Université du Manitoba! Nous voilà réunis pour le dernier match de soccer entre nos deux meilleures équipes, les Le match est fini! Félicitations à l’équipe des Grecs! philosophes français et les anciens Grecs! Voici l’équipe des Français! Le chef d’équipe Pascal, suivi de Descartes et Rousseau! Maintenant, c’est l’équipe des philosophes grecs qui arrivent dans le stade! Le chef d’équipe Archimèdes, suivi de Platon et Socrate! Pascal Notre arbitre, Confucius, porte le ballon. Les deux chefs d’équipe viennent se donner la main. On est maintenant prêt pour ce dernier match des éliminatoires. Ça sera un match incroyable, tenez-vous bien! Descartes Rousseau L’arbitre Confucius siffle et le jeu commence! Les voilà! Ah! Voilà Descartes qui doute de son existence. Archimède essaie de calculer la circonférence du terrain! Platon se moque des Français! Il dispute avec eux. (« Je vous dis que vous avez tort!) Socrate va dire à Confucius : « Espèce d’hypocrite! Tu es l’arbitre et tu ne crois même au libre arbitre! » Confucius est obligé de lui donner une pénalité (carte jaune), et il n’est pas content! Pascal commence à trembler (calculatrice et notes dans les mains) : « Le silence de ces espaces infinis m’effraie! » Rousseau va dans un coin solitaire pour bouder! (Platon se moque de lui.) Oh! Regardez Archimède, il se dirige vers le ballon, et, et…il a une idée! (« Eurêka! ») Il prend le ballon et l’envoie à Platon. Platon l’envoie à Socrate et le pauvre Descartes n’a aucune chance! C’est un but! PAGE 16 Archimèdes Platon Socrate Images de Linternaute, Encyclopédie : http://www.linternaute.com/ BULLETIN ESTUDIANTIN Création littéraire - Où vas-tu? Le nouveau chapitre 26 de La Répudiée Je ne réponds pas à la question, perturbé par l’agression de la vérité qui s’apprête à surgir de mes lèvres, à affliger celui que j’aime d’une nouvelle inconcevable. De: Nathanaël Wsiaki - Je suis capable d’avoir des enfants Nathan. Je suis une femme fertile. Je me lève, je marche, il est minuit, je vais chez moi, chez toi, chez nous. Je me faufile dans les rues étroites, comme un fantôme, une âme perdue, silencieuse, absente, présence que personne ne remarque. J’arrive au seuil de notre porte, portail menant à une vie d’auparavant, à un passé que je souhaite tant revivre. Je vogue dans le néant de ma tristesse, j’avance sans le savoir, sans y penser, guidé par un amour désespéré. J’arrive à la cuisine et mon cœur s’arrête. Tu es là, assis, pensif, perturbé, comme mon cœur qui s’acharne à te chanter ses mélancolies, à battre au gré du tien. Tu te retourne et me vois, et mon corps se glace, se fige, pétrifié par le désir d’être aperçue, d’être dignes de ton regard qui désir le mien. - Rachel? Que fais-tu ici? Je tremble, surprise par le son de ta voix. Je frémis comme si telle musique réchauffait mon âme répudiée, glacée par l’oubli. - Rachel? - Je ne peux pas vivre sans toi, Nathan. Le silence est assourdissant, hurlant dans le vide, lourd par les émotions et les pensées secrètes. Je m’approche de toi, la force est grande qui m’attire, de ton corps tout blanc que je désire sans relâche, de la personne que j’aime éperdument, à en mourir d’amour. - Pourquoi es-tu venu, Rachel? - J’avais besoin de te voir. Je ne peux pas vivre sans toi. J’ai tant à te dire avant que je quitte. BULLETIN ESTUDIANTIN - Rachel, nous avons essayé pendant dix ans. Il s’est levé, mon mari, et m’a embrassé de ses bras. Perdu dans son étreinte, je suis envahi par le désir, par l’amour, par son corps, par les sens qui m’attachent à sa personne. J’entends son cœur qui bat contre ma joue, me murmurant à l’oreille une consolation divine, duquel je me dois de m’éloigner pour continuer à lui faire part d’une vérité qui est uniquement mienne depuis bien trop longtemps. - Je suis allé voir le médecin. Il m’a examiné. Il m’a dit que je ne suis pas stérile, que de mon côté, il n’y a aucun empêchement pour avoir des enfants. - Que dis-tu, Rachel? - Que c’est toi qui est stérile, Nathan. Tu n’es pas capable d’avoir d’enfants. Toi et Léa, vous n’aurez pas de progéniture. Tu vas la répudier, et elle aussi, sa vie perdra son sens, son goût, pendant que toi tu continues à vivre sans enfants. J’entends mes paroles résonner dans la cuisine, même si elles étaient murmurées. Le silence est insupportable, pour ne pas dire violent, criant des pleurs, comme si le cœur brisé d’un homme pouvait fulminer des cris tissés par le néant. Son regard est mort, il est perdu dans ses pensés, dans son passé, cherchant une explication, la compréhension, mais toutes les réponses qu’il détient viennent de la Torah, du Talmud, et il ne trouve pas ce qu’il cherche. Il ne trouve pas une issue. Il est une âme perdue, il n’est plus dans la cuisine, il PAGE 17 est ailleurs, absent, comme moi, fantôme, déchets spirituels d’une histoire d’amour qui termine par l’horreur, par l’angoisse, par la mort de soi, par des cœurs achevés d’une injustice culturelle, par la main cruelle de Jérusalem. - Où vas-tu? murmure-t-il. - Je quitte retrouver Naomi. Elle viendra me chercher à l’aube. En voiture. J’irai vivre avec elle et Yacov. Nathan me regarde, puis il ferme les yeux, en prière. Je lui donne sa place, tout en désirant être avec lui une dernière fois, tout près, blottit contre sa poitrine, contre son cœur, une dernière fois. University of Manitoba French Club University of Manitoba French Club est un groupe d’étudiants qui organise des réunions, des dîners, des soirées cinéma et des sorties à d’autres évènements locaux comme le Festival du Voyageur. Leur but est de fournir des occasions où les étudiants peuvent pratiquer leur français. Vous pouvez retrouver les évènements à venir du club sur Facebook au http://www.facebook.com/ group.php?gid=59852490672 ou en cherchant «University of Manitoba French Club » sur Facebook. - Viens avec moi. Je le suppliais de venir, l’idéal d’être avec lui plus fort que tout ce que j’aurais pu désirer. Il fige devant l’absurdité de l’idée, devant la possibilité d’échapper à une vie maudite, d’échapper à l’humiliation, d’abandonner une femme à qui il s’était déjà donné en mariage. Il se rassoit, incapable de porter le fardeau qu’était devenu sa vie. Tout comme moi. REMERCIEMENTS Nos remerciements aux professeures Constance Cartmill et Louise Renée. - Sors d’ici, Rachel. - Viendras-tu avec moi? - Sors Rachel. Je suis déchirée par l’envi de rester près de lui et par le devoir de lui obéir. Ce n’est plus ma maison, il n’est plus mon mari, il ne me doit rien. La stérilité était sa malédiction, son destin est sien, et je n’en suis pas responsable. Je lui écris l’information sur papier, la laissant sur le comptoir. - Je t’aime. Puis sur ce, je quitte le lieu à jamais, les larmes brouillant la nuit froide. Au nouveau jour commencera ma nouvelle vie. PAGE 18 BULLETIN ESTUDIANTIN Département de Français, Espagnol, Italien 430 Fletcher Argue Université du Manitoba Winnipeg, MB R3T 5V5 Canada Téléphone : 204-474-9313 Fax : 204-474-7578 Courriel : [email protected] Site web: http://umanitoba.ca/faculties/arts/ departments/fsi/ BULLETIN ESTUDIANTIN PAGE 19