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TÉLÉVISION : L'ADOPTION LABORIEUSE D'UNE RÉFÉRENCE UNIQUE Régine Chaniac

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TÉLÉVISION : L'ADOPTION LABORIEUSE D'UNE RÉFÉRENCE UNIQUE Régine Chaniac
Régine Chaniac
Institut national de l'audiovisuel (Ina)
TÉLÉVISION :
L'ADOPTION LABORIEUSE
D'UNE RÉFÉRENCE UNIQUE
L'histoire de la mesure d'audience à la télévision est indissociable des principales
évolutions qui ont transformé ce média et affecté le fonctionnement des chaînes de
télévision entendu au sens le plus large. Le progrès des méthodes et des techniques, permis
à la fois par le développement des enquêtes par sondage et l'essor de l'informatique,
n'explique à lui seul, ni l'importance croissante prise par les données d'audience, ni
l'évolution des indicateurs les plus couramment utilisés. Les différentes étapes qui ont mené
d'une télévision publique en situation de monopole à un système mixte public/privé
caractérisé par la concurrence sur le marché publicitaire ont fortement pesé. Avec la
domination du modèle commercial, la mesure d'audience est devenue l'instrument central
de régulation des chaînes de télévision généralistes.
Contrairement à celui d'autres médias (la presse, le cinéma), l'auditoire de la radio et
de la télévision ne peut être appréhendé à partir d'un comptage physique (nombre
d'exemplaires ou de billets vendus). Pour évaluer l'audience et, plus largement, pour
appréhender les habitudes d'écoute du public et ses opinions sur les programmes diffusés,
la technique du sondage s'est donc rapidement imposée. Dès 1949, la radio, vivant déjà sous
le règne de la concurrence entre service public et stations périphériques, s'est dotée d'un
système régulier d'enquêtes financé par la RTF, les principales stations commerciales d'alors
et les agences publicitaires les plus importantes. En ce qui concerne la télévision,
l'installation d'un outil permanent a été précédée de toute une période où les études et
sondages ne fournissaient pas un taux d'audience normalisé, mais plutôt des informations
sur le public, sur ses comportements et ses attitudes par rapport au nouveau média.
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Les années de développement
Durant les années 1950 et une bonne partie des années 1960, la demande des
responsables de la télévision en matière d'audience n'est pas assez importante pour justifier
l'installation d'un système coûteux de mesure: l'offre de programmes, limitée à quelques
heures par jour, est volontariste, reposant sur un équilibre entre les genres relevant d'une
ambition culturelle et informative et ceux relevant du divertissement. La concurrence entre
chaînes n'existe pas, la publicité est absente et le public, qui augmente chaque jour, plébiscite
les émissions proposées. La montée de l'équipement, rigoureusement enregistrée par le service
de la redevance, est une des premières statistiques régulières qui indique à elle seule la forte
popularité du média: on passe de 6 % de foyers équipés en 1957 à 62 % en 19681 ! Entre 1961
et 1967, un million de nouveaux comptes de redevance sont ouverts chaque année.
La curiosité vis-à-vis de ce nouveau public existe et se traduit par un certain nombre
d'enquêtes assez nombreuses et diverses, qui ne constituent pas un instrument permanent
et systématique de suivi d'audience. Des sondages ponctuels sont confiés à des organismes
extérieurs pour mieux connaître les caractéristiques démographiques et socioprofessionnelles des foyers équipés (INSEE, COFREMCA, etc.). Les enquêtes régulières
mises en place pour la radio, et réalisées par l'IFOP-ETMAR pendant deux périodes d'une
semaine par an, s'élargissent à partir de 1962 pour fournir les habitudes d'écoute des
téléspectateurs (courbes d'écoute moyenne par jour).
Le service des relations avec les auditeurs et les téléspectateurs de la RTF, dont l'activité
est essentiellement tournée vers le traitement et l'analyse du courrier reçu spontanément,
commandite et exploite ces études. Il gère également, à partir de 1954, un système quotidien
d'interrogation par téléphone. Ce dispositif s'appuie sur un échantillon très faible (une
centaine de personnes chaque soir), limité à la seule région parisienne et non représentatif
de la population disposant d'un téléviseur (la population française est encore sous-équipée
en téléphone). Plutôt qu'un instrument de sondage fiable, c'est un moyen d'établir un
« dialogue presque immédiat »2 et continu avec le public, en recueillant à chaud les réactions
de téléspectateurs au programme principal de la soirée. Il traduit aussi l'aspiration de Jean
Oulif, responsable du service, de s'inspirer de l'exemple de la BBC déjà dotée depuis 1952
d'un sondage quotidien sur l'écoute de la télévision3.
Le panel
postal
Il lui faudra attendre 1967 pour avoir les moyens de mettre en place un dispositif
permanent et fiable, capable de fournir des résultats par émission. La méthode adoptée par
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l'ORTF est celle du panel, qui consiste à conserver le même échantillon pendant un certain
laps de temps, plus économique que le recrutement d'un nouvel échantillon chaque jour. Le
panel, recruté selon la méthode des quotas, est représentatif de la population équipée en
télévision âgée de 15 ans et plus (de 400 personnes à l'origine, il culmine à 1600 en 1972),
réparti sur l'ensemble du territoire et renouvelé par moitié chaque semaine. Chaque personne
recrutée remplit un carnet d'écoute pendant deux semaines, indiquant les émissions regardées
(en entier ou en partie) et leur accordant une note d'intérêt. Le traitement des feuilles
d'écoute, renvoyées par la poste chaque jour, permet de calculer un taux d'écoute et un indice
de satisfaction pour chaque émission, dans un délai d'une huitaine de jours après la diffusion.
L'indice d'audience utilisé alors est un composite puisqu'il rajoute au pourcentage de
téléspectateurs ayant vu l'émission en entier la moitié de ceux qui l'ont vu en partie4. Ce mode
de calcul, qui permettait de prendre en compte approximativement l'auditoire partiel d'une
émission, met bien en évidence le caractère construit de tout indicateur d'audience.
Les résultats du panel postal sont strictement confidentiels et réservés à un petit
nombre de responsables de l'ORTF. Les rares résultats qui paraissent dans la presse sont
généralement délivrés par les responsables des chaînes à des fins de communication. Michel
Souchon fait remarquer que l'outil est destiné à éclairer une politique de programmes qui
demeure encore volontariste et compare ses utilisateurs de l'époque à Talleyrand qui
considérait que «l'opinion est un contrôle utile et un guide dangereux» 5 . Pourtant, certains
professionnels accordent très vite une grande attention aux chiffres d'audience pour évaluer
l'impact de leurs émissions, comme le raconte Etienne Mougeotte, disant de Pierre
Desgraupes, directeur de l'information de la première chaîne de fin 1969 à juillet 1972, «il
m'a aussi appris l'audience» 6 .
Mais l'effet le plus important de l'introduction du panel postal n'est pas encore dans
l'instauration d'une concurrence entre chaînes. Il réside dans la profonde désillusion
entraînée par la comparaison des résultats soir après soir. Avec la création de la deuxième
chaîne en 1964 et l'ouverture du choix qui en a résulté, avec l'enrichissement de l'offre
propre à ces années d'expansion, le public montre clairement sa préférence pour les jeux,
les sports, les variétés et les feuilletons7. Les responsables de l'Office peuvent maintenir un
équilibre entre programmes culturels et programmes de divertissement, mais les grandes
espérances pédagogiques sont déçues.
Deux systèmes parallèles
de mesure
d'audience
Un an après l'installation du panel postal, en octobre 1968, la publicité de marques est
introduite à la télévision, uniquement sur la première chaîne. Cela conduit à l'installation
d'une seconde mesure d'audience répondant aux besoins de la profession publicitaire.
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Le Centre d'étude des supports de publicité (CESP), créé en 1957 pour mesurer
l'audience de la presse, reprend à partir de 1968 les enquêtes par vagues menées auparavant
par l'IFOP-ETMAR pour la radio, interrogeant 12 000 individus par an sur leur écoute de
la radio et de la télévision. Chaque vague (de deux à quatre par an) fournit quart d'heure
par quart d'heure les courbes d'écoute des différentes chaînes. Les résultats sont utilisés,
non seulement par les annonceurs et les agences de publicité, mais aussi par la Régie
française de publicité, organisme public filiale de l'ORTF chargée de commercialiser les
écrans de la télévision publique. Dans la mesure où les résultats du panel de l'ORTF ne sont
communiqués qu'aux responsables de chaînes et aux pouvoirs publics, ce sont en effet les
chiffres du CESP qui servent de référence pour la tarification des écrans.
Deux systèmes parallèles vont ainsi coexister jusqu'en 1989, l'un réservé aux chaînes et
l'autre s'adressant à tous les acteurs du marché.
Il peut paraître paradoxal que les différents partenaires du marché publicitaire aient
disposé pendant une bonne vingtaine d'années de données plus frustres que celles fournies
par le panel postal. Le dispositif du sondage par vague ne permettait notamment pas d'avoir
des résultats émission par émission, soir par soir, sur l'année entière. Les résultats étaient
moyennes par jour «nommé». Les chaînes avaient d'ailleurs tendance à programmer leurs
événements exceptionnels pendant les périodes de sondage, pour infléchir les résultats en
leur faveur. Si les publicitaires se sont contentés de cette information pendant si longtemps,
c'est parce que les écrans étaient strictement contingentés et que leur nombre était très
inférieur à la demande. La Régie française de publicité profitait de cette situation de pénurie
pour «gérer la file d'attente» et imposer ses conditions : elle vendait en fin d'année tous les
écrans de l'année suivante, à un tarif uniforme selon les jours. Les annonceurs achetaient à
l'aveugle, sans connaître le contexte de programmation exact et sans choisir la date de
diffusion. Les chiffres du CESP leur suffisaient pour minimiser les risques en leur donnant
l'audience moyenne de la chaîne sur le créneau horaire demandé.
La montée de la concurrence dans le service public
Le début des années 1970 voit s'installer une certaine compétition entre les deux
chaînes existantes. En 1971, la seconde s'ouvre à son tour à la publicité. En juillet 1972, les
deux chaînes deviennent des régies distinctes au sein de l'ORTF, placées sous la
responsabilité d'un directeur et ayant une certaine autonomie de fonctionnement. Leurs
directeurs respectifs, Jacqueline Baudrier et Pierre Sabbagh, vont chacun s'attacher à leur
donner une identité propre, une unité. Pierre Sabbagh reçoit clairement mandat
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d'augmenter l'audience de la seconde chaîne (limitée les premières années par un réseau
d'émetteurs incomplet) pour se rapprocher de la chaîne aînée, et cela au moment où
s'annonce la troisième chaîne. Les chiffres fournis chaque semaine par le panel permettent
à leurs responsables de comparer les résultats des deux rivales, surtout pour le programme
principal offert en première partie de soirée. Progressivement, la réussite des dirigeants de
chaîne s'exprimera de plus en plus en termes d'audience.
Prévus par la loi d'août 1974, l'éclatement de l'ORTF et la création de sociétés de
programmes indépendantes, institutionnalise à partir de 1975 la concurrence au sein du
service public. TFl et Antenne 2 ont chacune leur régie de publicité, filiale de la RFP, et
négocient séparément avec les annonceurs ; la Loi de finances fixe chaque année le montant
maximum de recettes pour l'une et l'autre, le total étant plafonné à 25 % des ressources
globales de la télévision. Le service qui gérait à l'ORTF le panel postal, ainsi que l'ensemble
des études complémentaires (quantitatives ou qualitatives) portant sur le public, devient le
Centre des études d'opinion (CEO), rattaché aux services du Premier ministre. Le panel
postal perdure à quelques évolutions près (intégration de la radio, augmentation progressive
de la durée de panélisation, etc.). Parallèlement, les résultats du CESP, qui apportent un
baromètre sur l'état de santé respectif des chaînes selon les tranches horaires, font l'objet
d'une attention croissante au sein des chaînes. En effet, la RFP ne joue plus le rôle de boîte
noire et chaque chaîne est dans une situation de dépendance nouvelle vis-à-vis des
annonceurs, et cela par rapport aux chiffres qui ont vigueur sur le marché.
L'audimétrie
foyer
À partir de janvier 1982, l'audimétrie, déjà présente dans de nombreux pays d'Europe
(ITV l'a adoptée dès les années 1960), s'installe en France avec un panel d'audimètres
mesurant de façon passive l'écoute de 600 foyers (poste allumé, chaîne regardée). Ce nouvel
outil, baptisé Audimat en France, enregistre les changements d'état du récepteur à la
seconde près, mais ne distingue pas l'écoute des différents individus au sein du foyer. C'est
pourquoi le panel postal est maintenu pendant trois ans encore pour fournir des résultats
par individu.
En fait, l'audimétrie représente une telle révolution au sein des chaînes que celles-ci se
désintéressent progressivement du panel postal. Chaque chaîne, chaque régie est connectée
à l'ordinateur central qui recueille et traite dans la nuit les données stockées par les
audimètres. Les responsables disposent le matin des résultats de la veille, avec les taux
d'audience moyenne et cumulée de chaque émission, et plus encore, la courbe d'audience
globale et par chaîne, indiquant les arrivées et les départs des téléspectateurs, les reports
d'une chaîne à l'autre. La rapidité, la précision s'accompagnent d'un degré de fiabilité
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inconnu jusqu'alors (on mesure le fonctionnement effectif du téléviseur, en neutralisant les
erreurs liées au recours à la mémoire et au déclaratif) et de la richesse d'une représentation
graphique qui permet d'un coup d'œil d'évaluer la performance d'une programmation.
Pour Michel Demaison, alors responsable du service des sondages à Antenne 2,
l'audimétrie a changé «les rapports entre la télévision et son public» 8 . Auparavant, les
résultats du panel représentaient «un regard sur le passé», arrivant après tout un ensemble
de réactions, comme celles de la critique, des pairs et des téléspectateurs qui s'exprimaient
spontanément par téléphone ou par courrier, dont ils n'effaçaient jamais totalement
l'impact. Avec l'Audimat, le verdict du public est intégré dans «le présent de la télévision»
et prend le pas sur toutes les autres instances de jugement.
La fascination pour le nouvel outil est partagée par les publicitaires qui revendiquent
l'accès aux résultats. Alors que le panel postal n'était pas assez précis pour fournir
l'audience des écrans. Audimat est tout à fait performant pour une mesure précise au niveau
du foyer. Mais les chaînes et leurs régies craignent de partager des informations aussi
stratégiques avec les agences et les annonceurs et bloquent les tentatives répétées de
négociation9.
L'arrivée des chaînes commerciales
La loi du 29 juillet 1982 supprime le monopole du service public en matière de
programmation, en prévoyant la possibilité de créer des chaînes hertziennes selon un régime
d'autorisation préalable ou de concession de service public. Elle supprime également le
plafonnement des recettes publicitaires pour les chaînes publiques et introduit la publicité
sur FR3. Après le démarrage du plan câble dès novembre 1982 et, deux ans après, de la
chaîne payante Canal Plus, François Mitterrand annonce la création de deux chaînes
privées, qui commencent à émettre au printemps 1986, sous le nom de La Cinq et TM6.
La création
de
Médiamétrie
Dans ce contexte de libéralisation, Georges Fillioud, secrétaire d'Etat chargé de la
Communication, entreprend de sortir le CEO de son statut administratif afin de lui
permettre de devenir un interlocuteur pour l'ensemble du marché. En juin 1985, une société
de droit privé, Médiamétrie, dont le capital est détenu à 80 % par l'État (à travers l'ΙΝΑ, les
trois chaînes publiques, la RFP, Radio-France) et les radios dites périphériques Europe 1 et
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RMC, voit le jour. Pour la première fois, les données d'audience calculées pour les diffuseurs
peuvent être commercialisées auprès de la profession publicitaire, même si l'AACP,
l'Association des agences-conseils en publicité, refusera dans un premier temps tout
dialogue avec cette société contrôlée par les diffuseurs publics.
Médiamétrie abandonne le panel postal, augmente le nombre d'audimètres à 1 000 et
crée l'enquête téléphonique 55000 10 pour suivre l'audience de la radio et fournir, en
moyenne mensuelle, l'écoute individuelle de la télévision. Audimat plus, créé en 1986,
calculait une audience-individu probable 11 pour chaque émission, en appariant les résultatsfoyers par émission de l'Audimat et les résultats-individus de la 55 000 par quart d'heure
moyen. L'utilisation pendant plusieurs années, par une grande partie de la profession, des
chiffres purement hypothétiques de l'Audimat plus illustre encore à quel point la mesure
d'audience n'est qu'une construction statistique faisant un temps donné l'objet d'un
consensus.
De l'autre côté, soutenu par l'AACP, un concurrent entre en jeu : le tandem SofrèsNielsen, qui propose lui aussi une fusion entre les données-foyer d'un panel de
200 audimètres installés en région parisienne et des données-individu issues d'un panel de
300 minitels sur la France entière. Certaines agences publicitaires s'abonnent à ce système
moins coûteux que le précédent, de même que Canal Plus, qui a des besoins particuliers
en mesure d'audience et peut suivre un échantillon de ses abonnés à partir du panel
télématique.
La privatisation
de TFl
La décision de privatiser TFl, proposée par François Léotard et votée le 30 septembre
1986 par la nouvelle assemblée, prend effet en avril de l'année suivante, avec l'attribution
de la chaîne à un groupe d'acquéreurs conduit par la société Bouyghes. Cette privatisation
de la première chaîne publique (près de 40 % de part d'audience en 1986) fait basculer le
paysage audiovisuel français dans un système concurrentiel : brusquement, le secteur public
est mis en minorité, le nombre des écrans publicitaires commercialisés par TFl augmente
fortement et, pour la première fois, l'offre globale d'écrans est supérieure à la demande. Les
conditions de vente s'assouplissent, les tarifs s'affinent, les délais d'achat se raccourcissent.
Dans cette situation d'ouverture du marché, un nouveau rapport de forces s'instaure
entre les diffuseurs et les acheteurs d'espaces (annonceurs, centrales d'achat, agences).
Ceux-ci sont tout-à-coup en mesure d'exiger leur participation au contrôle de l'institution
chargée du calcul de l'audience et de peser pour l'adoption d'un instrument de mesure
adapté à leurs besoins, c'est-à-dire capable de fournir l'audience des écrans chez certaines
catégories de consommateurs. Le suivi du nombre d'individus touchés par une campagne,
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identifiés par cible de consommateurs, qui n'avait guère d'intérêt dans un contexte de rareté
des écrans publicitaires, devient un enjeu pour la profession.
L'audimétrie
individu
La profession publicitaire réclame donc l'installation de l'audimétrie individuelle, qui
permet de fournir les résultats d'audience par cible. Les audimètres sont équipés d'un boîtier
de télécommande muni de bouton-poussoir et chaque membre des foyers panélisés se voit
attribuer un bouton qu'il doit presser quand il commence à regarder la télévision, puis quand
il arrête. L'audimètre à bouton-poussoir conserve l'enregistrement objectif des états du
récepteur (marche/arrêt, changements de chaînes), auquel il ajoute celui de la déclaration
volontaire des individus. Contrairement à l'audimétrie foyer, ce n'est donc plus un système
passif. Mais la sophistication de la mesure l'emporte, aux yeux des publicitaires, sur les biais
inhérents à la déclaration: erreurs d'utilisation et surtout, difficulté de constituer des
échantillons représentatifs d'individus acceptant la contrainte du bouton-poussoir.
Les concurrents de Médiamétrie profitent de cette opportunité. C'est tout d'abord
Sofrès-Nielsen qui annonce l'augmentation de son panel et le passage à l'audimétrie
individuelle ; puis le CESP, à la fois arbitre de l'ensemble des études d'audience et opérateur
de l'enquête par vague radio et télévision, qui lance un appel d'offres en vue de constituer
son propre panel d'audimètres à bouton-poussoir. En quelques mois, Médiamétrie réussit à
s'imposer comme le fournisseur principal de l'audience télévision. Le CESP renonce à son
projet et Sofrès-Nielsen abandonnera quelques années plus tard son panel, n'étant pas
parvenu à convaincre les anciens diffuseurs, clients historiques de Médiamétrie.
Médiamétrie fait entrer les publicitaires dans son capital à égalité avec les diffuseurs
TV, à la faveur du désengagement de l'Etat et de la disparition de la RFP (février 1988), et
annonce la mise en place de l'audimétrie individuelle. En 1989, le système baptisé
Médiamat, s'appuyant sur un panel de 2 300 audimètres à bouton-poussoir, soit
5 600 individus ayant 6 ans et plus, entre en fonction et devient rapidement la référence
unique pour l'ensemble des parties intéressées. Les résultats sont fournis sur 24 cibles
standard, construites à partir de critères socio-démographiques (sexe, âge, taille de
l'agglomération) et de critères de consommation (catégorie socio-professionnelle,
responsabilité des achats). Ainsi apparaissent la «ménagère de moins de 50 ans» et la
«ménagère avec enfants de moins de 15 ans», susceptibles d'acheter une forte quantité de
ces produits de grande consommation (alimentation, hygiène-beauté, entretien, etc.), qui
accaparent l'essentiel des investissements publicitaires sur le média télévision.
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Télévision : l'adoption laborieuse d'une référence unique
Après l'arrivée des audimètres à bouton-poussoir, les évolutions concernant l'audience
des chaînes généralistes sont mineures : en 1993, Médiamat prend en compte les plus jeunes
enfants, dès l'âge de 4 ans; au cours de l'année 1999, le panel s'élargit à 2750 foyers, soit
6640 individus; à partir de mars 2000, 280 foyers équipés en réception numérique sont
intégrés au panel, grâce à de nouveaux audimètres capables de mesurer à la fois l'audience
d'une offre diffusée en numérique et en analogique; l'année suivante, un nouvel
élargissement intervient et, en 2003, le panel Médiamat comprend 3 150 foyers, soit
7 600 individus de 4 ans et plus.
Les indicateurs : la montée e n puissance
de la part d'audience
Parallèlement à l'évolution des outils, des méthodes et du statut de l'instance chargée
de mesurer l'audience, celle des indicateurs utilisés traduit aussi le profond changement qui
s'est opéré avec l'émergence du modèle commercial.
Nous avons vu que le panel postal fournissait un indice d'écoute, calculé de manière à
prendre en compte approximativement l'écoute partielle des émissions. Il était complété par
un indice d'intérêt, appelé plus tard indice de satisfaction, établi à partir d'une note fournie
par chaque panéliste (de 1 à 6).
Le passage à l'audimétrie-foyer supprime cette appréciation du téléspectateur. Le
premier indicateur de base de l'Audimat est l'audience moyenne (pourcentage moyen des
foyers ayant regardé l'émission ou la chaîne), qui, contrairement à l'indice précédent, prend
en compte l'ensemble des écoutes partielles pour leur durée exacte. Le second est l'audience
cumulée (pourcentage de foyers ayant regardé au moins un certain seuil de temps l'émission
ou la chaîne considérée). L'audience cumulée est supérieure à l'audience moyenne car elle
compte en entier la totalité des foyers ayant été en contact avec l'émission. C'est un chiffre
très utile pour un programmateur qui peut ainsi connaître l'étendue de la population
touchée par une émission.
Un nouvel indicateur fait progressivement son apparition au cours des années 1980: la
part d'audience (ou part de marché). Il exprime le rapport, pendant une période donnée,
entre le nombre de foyers à l'écoute d'une chaîne et le nombre de foyers regardant la
télévision. Plus élevé que le taux d'audience moyen (calculé sur l'ensemble des foyers équipés
TV), il fournit l'état de la concurrence. Lorsque la compétition se situait principalement entre
deux chaînes publiques (la troisième ayant un auditoire beaucoup moins élevé que ses aînées
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jusqu'à la fin des années 1980), la part d'audience était peu utilisée en tant que telle.
L'indicateur global fourni par le CEO et le CESP sur la répartition par chaîne de la durée
d'écoute moyenne, fournissait aux responsables une appréhension immédiate du
positionnement relatif des deux rivales. De même, un simple coup d'œil sur les résultats de
deux émissions diffusées à la même heure donnait grosso modo leur poids respectif.
Médiamétrie introduit l'indicateur dès 1985 en communiquant chaque semaine à la
presse les parts de marché-foyer des chaînes, en même temps que la durée d'écoute
moyenne et un palmarès des dix meilleurs résultats par chaîne (exprimés en audience
moyenne). Cette part de marché, calculée sur la semaine, le mois ou l'année, devient
rapidement une référence, non seulement pour les professionnels mais pour la classe
politique et l'ensemble des observateurs. C'est le chiffre-clé pour hiérarchiser les chaînes
dans un contexte de montée de la concurrence. Lorsque la privatisation de TFl est décidée,
l'élément le plus significatif qui sera retenu pour déterminer sa valeur de cession sera sa part
de marché d'environ 40 % à l'époque.
Un cran décisif est franchi à l'été 1987 quand les repreneurs de TFl, en place depuis
avril, craignent une baisse massive de l'audience, suite au départ de plusieurs animateurs de
divertissements très populaires débauchés par La Cinq. Dans un tableau de bord
hebdomadaire, chaque émission de la chaîne est évaluée par rapport à l'objectif global de
part d'audience, fixé à 40 %. Pour la première fois, la part d'audience de chaque émission,
calculée grossièrement au sein de la chaîne, devient une référence systématique et un critère
de décision affiché. Dès l'année suivante, Médiamétrie propose à tous ses souscripteurs des
résultats en audience moyenne et part d'audience, par émission et par quart d'heure.
À partir de 1989, la mise en place de Médiamat permet de calculer tous les indicateurs
précédents sur les individus, et non plus sur les seuls foyers. L'audimétrie individuelle
fournit des parts d'audience par cible qui permettent de raffiner la communication des
chaînes, aussi bien en direction des publicitaires (même si ces derniers n'achètent in fine
qu'un nombre théorique de contacts, c'est-à-dire d'individus touchés) que des journalistes.
Ainsi, lorsque la part d'audience globale de TFl commence à s'éroder au début des années
1990, la régie de la chaîne vante ses bons résultats auprès des «ménagères de moins de
50 ans», très recherchées par les annonceurs de produits de consommation courante. De
son côté, M6 se présente comme «la chaîne des jeunes», ses responsables communiquant
habilement sur des scores à certains moments plus élevés chez les moins de 35 ans. Même
dans les chaînes publiques, la part d'audience devient progressivement l'indicateur
omniprésent dans les discours des programmateurs qui, comme leurs homologues, justifient
ainsi les changements de grille, l'arrêt ou le maintien d'une émission, le lancement d'une
nouvelle formule.
Il faut attendre l'émergence d'un outil de mesure d'audience propre aux chaînes de
complément, diffusées par câble puis sur satellite, pour que l'audience cumulée reprenne de
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l'intérêt. Dans un univers où les auditoires sont fortement fractionnés, chaque chaîne
souhaite appréhender, non plus les taux d'audience de chacun de ses programmes ou sa part
d'audience, chiffres souvent dérisoires et frappés d'incertitude statistique, mais l'étendue de
sa «clientèle» sur une période donnée. L'étude par vague Audicâble, créée en 1994 par
Médiamétrie, devenue AudiCabSat en 1998, fournit ainsi un taux de couverture sur les trois
semaines de l'enquête et un taux moyen sur la semaine. Puis ce dernier indicateur est calculé
sur six mois avec l'outil permanent MédiaCabSat12, mis en place à partir de 2001, à partir
d'un panel d'audimètres à bouton-poussoir. Toutefois, dès la seconde période de
MédiaCabSat (septembre 2001-février 2002), Médiamétrie publie aussi la part d'audience
des chaînes thématiques, seule une poignée d'entre elles atteignant le seuil de 1 % (Canal J,
Eurosport, LCI, RTL9).
À plusieurs reprises, nous avons souligné l'aspect conventionnel de la mesure
d'audience : construction d'indices, extrapolation à partir d'enquêtes différentes, définition
des cibles, etc. L'outil et le protocole adoptés, les indicateurs choisis sont le résultat d'un
rapport de forces entre les parties prenantes. Les compromis successifs expriment des
intérêts différents, des représentations différentes du public et de la télévision. L'exigence
de disposer d'une référence unique pour le marché de l'espace publicitaire, propre au
modèle commercial, s'impose aujourd'hui à l'ensemble des acteurs. Parallèlement, la part
d'audience supplante les autres indicateurs pour comparer les performances des chaînes,
fussent-elles exemptes de publicité (Arte) ou thématiques.
NOTES
1.
La montée de l'équipement est conditionnée par la mise en place progressive du réseau d'émetteurs nécessaire
à la réception : en 1956, de nombreuses régions ne sont pas encore couvertes et il faut attendre 1966 pour que
95 % des zones habitées du territoire puisse recevoir la première chaîne (et 70 % la seconde chaîne).
2.
OULIF, Jean, PHILIPPOT, Michel, 1980, «La fable de la culture audiovisuelle», in Communication et langages,
4e trimestre, p. 100-109, cité par MÉADEL, Cécile, 1998, «De l'émergence d'un outil de communication», in
Quaderni, n° 35, p. 63-78.
3.
Il faut préciser que la télévision britannique a été la plus précoce d'Europe, à la fois du point de vue de
l'infrastructure de diffusion, développée intensivement à partir de 1949, de l'équipement des foyers et de
l'offre de programmes: en 1958, le tiers des ménages britanniques sont équipés d'un récepteur (contre 6 %
en France) et reçoivent déjà deux chaînes.
4.
SOUCHON, Michel, 1998, «Histoire des indicateurs de l'audience», in Quaderni, n° 35, p. 97-98.
5.
Idem, p. 97.
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Régine Chaniac
6.
Hors Antenne, avec DESGRAUPES, Pierre, in Les Cahiers du comité d'histoire de la télévision, n° 1, avril 1995.
7.
Pour le divorce entre télévision culturelle et télévision de divertissement, cf. MISSIKA, Jean-Louis, WOLTON,
Dominique, La Folle du logis, p. 38-39 et suivantes.
8.
DEMAISON, Michel, 1988, «L'audimétrie en France», in Études de radio-télévision, RTBF n° 38, Télévisions
mesurées et mesures de la télévision, Bruxelles.
9.
Cf. DURAND, Jacques, «Les études sur l'audience de la radiotélévision en France», in Quaderni, n° 35, p. 7992.
10. L'enquête doit son nom au fait que 55000 individus âgés de 15 ans et plus étaient interrogés chaque année
(soit plus de mille personnes par semaine). Elle devient l'enquête 75000 en 1990 et la 75000+ depuis 1999.
11. Cf. DEMAISON, Michel, 1988, déjà cité.
12. Cf. «Il était une fois MédiaCabSat», dans ce numéro.
RÉFÉRENCES
BIBLIOGRAPHIQUES
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